L’émergence des économies africaines est devenue depuis quelques années un cliché de communication politique brandi en toute occasion. Dans ce contexte, revenir aux fondamentaux pour clarifier le sens des mots et garder une lucidité d’analyse peut s’avérer utile.
Le concept, forgé au tournant du siècle, a d’abord qualifié des marchés de capitaux puis, par extension, des économies entières.
Au sens strict, est « émergent » le marché des capitaux d’un pays en développement qui réunit (a) un potentiel de croissance élevé, (b) une volatilité, elle aussi élevée et (c) une rentabilité de l’investissement supérieure à celle obtenue d’un investissement similaire sur le marché d’un pays développé.
Mais la singularité déterminante du marché émergent au sens étroit est qu’il est en transition, sur le long terme, vers (i) une taille, (ii) un niveau d’activité, (iii) une liquidité et (iv) un niveau de sophistication des produits offerts structurellement croissant.
Au sens large, l’adjectif « émergent » s’est appliqué à des économies remplissant certains critères quantitatifs et qualitatifs.
Les critères quantitatifs relèvent de trois ordres : d’une part, un PIB par tête inférieur à $ 10 000 selon la Banque Mondiale ou compris entre $ 2 000 et $ 12 000 selon le FMI ; d’autre part, un taux de croissance du PIB élevé et qui a vocation à le rester à long terme ;
et enfin, un taux d’investissement élevé dont l’investissement direct étranger constitue une part croissante.
Mais les critères les plus significatifs de l’émergence d’une économie sont qualitatifs et relèvent d’une transition active, voulue et séquencée vers :
– une intégration choisie au marché mondial, s’appuyant sur les avantages comparatifs du pays et une augmentation de sa compétitivité ;
– un marché intérieur de plus en plus structuré et concurrentiel, fondé sur une croissance de la productivité ; et
– des institutions et infrastructures efficaces – politiques, physiques et juridiques facilitant et sécurisant le fonctionnement correct des marchés et l’investissement.
Toutefois, pour qu’une telle transition s’effectue, le pays doit disposer d’un Etat stratège, compétent et légitime capable de fédérer, sur la durée et par-delà les alternances politiques, l’ensemble des acteurs nationaux autour d’un projet de transformation profonde de l’économie. En l’absence d’un tel processus de transformation, la croissance sera peut-être au rendez-vous mais le pays ne pourra pas prendre le virage de l’émergence.
Ces clarifications faites, il est aisé de distinguer les pays africains engagés dans un réel processus d’émergence économique et ceux qui se contentent d’en mimer les postures.
Louis ADANDÉ